Les créances successorales représentent une réalité souvent complexe et délicate à appréhender dans le cadre des successions. Lorsqu’une personne décède, ses héritiers doivent non seulement partager les actifs de la succession, mais aussi prendre en charge les dettes laissées par le défunt. Cet article vous guide à travers les principaux aspects des créances successorales, de leur identification à leur règlement, en passant par les moyens de protection ou de défense des intérêts des héritiers.
Qu’est-ce qu’une créance successorale ?
Les créances successorales désignent habituellement les créances des tiers à l’encontre du débiteur décédé.
Il s’agit donc des dettes et obligations financières qu’un défunt laisse derrière lui. Ces dettes peuvent inclure des prêts, des factures impayées, des impôts en retard, ou encore des engagements financiers contractés par le défunt avant son décès ou même nées à l’occasion de son décès à l’égard notamment de son conjoint survivant.
Les différents types de créances successorales
Il existe plusieurs types de créances qui peuvent faire partie d’une succession :
- Dettes personnelles : prêts bancaires, crédits à la consommation, etc.
- Factures impayées : frais médicaux, services publics, etc.
- Impôts et taxes : impôt sur le revenu, taxe foncière, etc.
- Engagements contractuels : loyers, abonnements, etc.
Identification des créances successorales
L’inventaire des créances est une étape cruciale dans le règlement de la succession. Il s’agit d’identifier et de répertorier toutes les dettes et obligations du défunt. Cette tâche est généralement accomplie par le notaire dans le cadre des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession que les héritiers, ou à défaut le juge, peuvent lui confier. Il aura accès aux documents financiers et aux relevés bancaires du défunt, comme tout héritier.
Procédures et outils pour l’inventaire
- Consultation des documents financiers : examiner les relevés bancaires, les factures et les contrats.
- Demande d’informations auprès des créanciers : contacter les banques, les fournisseurs de services, et autres créanciers potentiels.
- Utilisation de bases de données publiques : vérifier les registres de dettes et les avis de poursuite.
Règlement des créances successorales
Une fois les créances identifiées, vient le temps de leur règlement. Les héritiers sont responsables du paiement des dettes, en fonction de leur acceptation de la succession.
Ordre de priorité des paiements
Les dettes de la succession doivent être réglées selon un ordre de priorité spécifique :
- Frais funéraires : généralement payés en premier.
- Dettes fiscales : impôts et taxes dus.
- Créances privilégiées : prêts hypothécaires, salaires dus aux employés du défunt, etc.
- Dettes chirographaires : autres dettes non garanties.
Protection des héritiers face aux créanciers de la succession
Les héritiers peuvent prendre certaines mesures pour se protéger contre les créances successorales. Attention à la solidarité fiscale entre héritiers en matière d’impôt sur les successions.
Acceptation pure et simple de la succession
Attention, dans ce cas, les héritiers acceptent de recevoir tout le patrimoine du défunt et de régler tout le passif de la succession, même s’il est supérieur à l’actif, sur leur patrimoine personnel. Cette option peut être considérée comme souscrite même tacitement par des actes positifs qu’accomplit un héritier.
Acceptation à concurrence de l’actif net
S’ils ne connaissent pas très bien la consistance de la succession, les héritiers peuvent accepter la succession tout en limitant leur responsabilité aux actifs hérités. Ils recevront tout l’actif de la succession mais ne seront tenus de payer les dettes que dans la limite de la valeur des biens qu’ils auront reçus. C’est le régime légal applicable de plein droit aux héritiers mineurs. L’acceptation « à concurrence de l’actif net » s’appelait autrefois « sous bénéfice d’inventaire ».
Lorsqu’une succession a été acceptée à concurrence de l’actif net, l’article 792, alinéa 2, du Code civil prévoit qu’à défaut de déclaration des créances successorales au domicile élu de la succession dans les 15 mois de la publication de l’acceptation au BODACC (Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales consultable en ligne), les créances non assorties de sûretés sont éteintes. N’oubliez pas cette disposition légale bien trop souvent ignorée.
Renonciation à la succession
S’ils ne veulent pas accepter une succession lourdement endettée ou préfèrent que leurs enfants héritent directement à leur place pour limiter les droits de succession exigibles à chaque génération, les héritiers peuvent choisir de renoncer à la succession. Cette renonciation doit être formalisée par une déclaration auprès du tribunal compétent.
Attention, un héritier qui renonce à une succession permet à ses enfants, ou petits-enfants d’hériter à sa place. S’il n’a pas de descendant, ce sont ses cohéritiers qui hériteront de sa part d’héritage.
Par ailleurs, renoncer à un legs ne permet pas d’en faire profiter ses descendants ; la renonciation à un legs accroît l’actif à partager entre les autres héritiers.
Quel est le sort des créances du défunt ?
Le défunt a pu laisser non recouvrées des créances, tel des prêts qu’il a pu consentir à des proches. Les créances du défunt ne s’éteignent pas à son décès mais sont transmissibles à ses héritiers.
S’il s’agit de prêts destinés à aider ou gratifier un héritier, avec une intention de ne pas réclamer le paiement du capital et des éventuels intérêts, c’est-à-dire avec une intention libérale manifeste, ce prêt pourra être réintégré à l‘actif successoral comme donation indirecte. C’est ce qu’on appelle le rapport à succession qui fait partie de ses comptes, à défaut l’héritier qui aurait omis de rapporter une donation s’expose à perdre ses droits sur ce qu’il a reçu, s’il est reconnu coupable de recel successoral.
S’il s’agit d’une créance du défunt, tel un véritable prêt, ou des travaux qu’il a financés sur un bien appartenant à son conjoint, la créance sera attribuée, dans le cadre du partage, dans le lot de l’héritier débiteur pour paiement par compensation de ce qu’il recevra par ailleurs.
Pendant combien de temps peut-on réclamer le paiement d’une créance successorale : la prescription
Dans un dossier de succession que notre Cabinet a traité, nous soutenions que la seconde épouse qui se disait créancière de la succession de son mari, était prescrite dans son action en paiement, cinq ans après le décès de ce dernier. La veuve soutenait au contraire que sa créance personnelle devait suivre le même régime de prescription que les créances de son défunt mari, lesquelles se prescrivaient cinq ans après le partage de sa succession.
Refusant de se voir déclarée prescrite en son action, la veuve créancière a posé au juge du fond une question prioritaire de constitutionnalité, considérant qu’instituer deux régimes distincts de prescription des créances selon qu’on est créancier ou débiteur du défunt, constituerait une rupture d’égalité devant la loi.
En effet, lorsque que vous êtes créancier d’une personne décédée, vous devez agir contre la succession dans un délai de cinq ans à compter de son décès, alors que si vous êtes débiteur du défunt, les héritiers peuvent vous poursuivre en paiement pendant cinq ans, non pas à compter de son décès, mais à compter de la date du partage qui peut intervenir plus de cinq ans après le décès. Comment s’explique une telle différence de traitement ?
Différence de traitement entre créanciers et débiteurs du défunt
Lorsque le débiteur décède, le créancier peut aisément arrêter le montant de sa créance. Il doit donc agir avec célérité pour la recouvrer, sur les biens de la succession, dans un délai de cinq ans, ce qui est un délai raisonnable pour agir, au-delà duquel, ses héritiers pourraient considérer que le créancier a abandonné ses droits au profit du défunt ou de ses héritiers. Il ne faut donc pas perdre de temps en laissant dépérir sa créance, surtout si les héritiers se révèlent difficiles à identifier ou à localiser. Il y aura en outre la difficulté de connaître les coordonnées du notaire en charge du règlement de la succession.
Mais lorsque c’est le défunt qui est créancier, il est normal pour plusieurs raisons que les héritiers bénéficient, certes toujours d’un délai de cinq ans pour recouvrer les sommes dues à la succession, mais à compter du partage et non du décès.
Première raison : l’identification des héritiers
Il faut identifier les héritiers, et tous les héritiers, ce qui peut prendre un certain temps, notamment si certains sont établis dans un autre pays, ou si les biens de la succession se situent dans plusieurs pays, avec des droits de succession différents, nécessitant de recourir aux règles de droit international privé.
Une fois que sont identifiés les héritiers et déterminés l’actif et le passif de la succession, le notaire aura la charge d’ouvrir les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, après avoir établi un acte de notoriété après décès.
Ce n’est qu’après toutes ces opérations, notamment de calcul des créances, de rapports et récompenses éventuelles, que le notaire sera susceptible de déterminer le montant de l’éventuelle créance du défunt envers le débiteur.
Deuxième raison : les opérations de comptes, liquidation et partage
Une fois les comptes établis, il faut éventuellement liquider l’actif non partageable, ce qui peut prendre du temps, et partager l’actif liquidé entre les héritiers. A partir de la signature de l’état liquidatif, ce qui nécessite l’accord de tous les héritiers, chacun des héritiers va savoir quelle est la consistance de son lot, quel actif et quel passif vont lui être alloués.
En effet, la loi prévoit que le notaire doit mettre dans le lot de l’héritier, la dette qu’il a contractée avec le défunt. C’est un mécanisme de compensation qui permet d’éviter qu’un héritier débiteur du défunt, non seulement bénéficie d’une partie de l’actif de la succession après partage, mais en outre ne rembourse pas ses cohéritiers de sa dette, ce qui les contraindrait à engager une procédure judiciaire en recouvrement, avec les aléas de son exécution.
Afin d’assurer l’égalité effective du partage en plaçant les cohéritiers du débiteur à l’abri du risque d’insolvabilité de celui-ci, le notaire doit allouer à l’héritier la créance que le défunt détenait contre lui, si l’héritier a décidé de ne pas la rembourser volontairement avant le partage.
Tout cela se comprend bien, les héritiers étant souvent liés par des liens de parenté et potentiellement par des liens d’affection envers un même auteur qui les empêcheraient d’agir en justice, l’un contre l’autre.
Troisième raison : la purge des voies de recours
Dans cette matière, de nombreux recours peuvent être exercés contre le jugement d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, contre la désignation du notaire, son projet d’acte liquidatif et même les décisions du juge commis au partage. Il ne serait pas concevable que la prescription puisse courir contre les héritiers créanciers tant que le partage n’est pas définitif. Sans partage définitif, nul héritier ne peut savoir s’il est créancier d’un autre héritier pour agir contre lui.
Différences de traitement justifiées
La Cour de cassation considère, contrairement à ce que soutenait la partie adverse, qu’il n’y a pas rupture d’égalité des citoyens devant la loi. Ainsi, le débiteur de la succession peut être poursuivi en paiement pendant cinq ans à compter du partage, sur le fondement des dispositions des articles 864 et 865 du Code civil (Civ. 1ère, 28 avril 1986, n°84-16.820).
Attention, la créance sur la succession, née après le décès, se prescrit également cinq ans après le partage qui met fin à l’indivision successorale.
En revanche, les dettes contractées par le défunt, se prescrivent cinq ans après son décès, en vertu des dispositions de l’article 2224 du Code civil, qui édictent la prescription de droit commun (Civ. 1ère, 28 mars 2018, n°17-14.104).
Ce sont ces principes que la Cour de cassation vient de rappeler en refusant de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise (Civ. 1ère, 24 janv. 2024, n°23-40.015).
Ayant agi plus de cinq ans après le décès de son mari pour demander le paiement de sa créance aux héritiers, la veuve s’est donc vu opposer la prescription de son action en recouvrement, alors que les héritiers de son mari pouvaient encore agir en paiement de la créance qu’ils détenaient contre elle, pendant cinq ans à compter du partage.
Conclusion
Gérer les créances successorales est une tâche délicate qui nécessite une bonne organisation et une connaissance approfondie des procédures légales. En prenant les mesures appropriées et en se faisant accompagner par des professionnels, les héritiers peuvent éviter bien des tracas et régler efficacement les dettes du défunt.
La gestion des créances successorales peut être complexe et stressante. Le Cabinet Talon-Meillet Avocats, expert en droit des successions, est à votre disposition pour vous accompagner et défendre vos intérêts. Ne laissez pas les dettes héritées devenir un fardeau supplémentaire.
Ensemble, nous trouverons la meilleure solution pour votre situation.
Par Laurent Meillet
Dernière mise à jour : 22 avril 2024