Jurisprudences récentes sur le harcèlement moral et sexuel

Le harcèlement au travail, qu’il soit moral ou sexuel, est une problématique de plus en plus abordée dans le cadre du droit du travail. Les jurisprudences récentes en matière de harcèlement jouent un rôle crucial dans l’évolution de la législation, en offrant des décisions de justice qui renforcent la protection des salariés et précisent les obligations des employeurs. Cet article fait le point sur les décisions marquantes des tribunaux concernant le harcèlement, en analysant les tendances actuelles et les critères retenus pour qualifier et sanctionner ces comportements inacceptables. En comprenant ces jurisprudences sur le harcèlement, tant les employeurs que les employés peuvent mieux appréhender leurs droits et responsabilités.

Définition du harcèlement moral et sexuel

Le harcèlement moral peut se décrire comme des faits civilement et pénalement délictueux, se caractérisant par le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements pouvant entraîner une dégradation de ses conditions de vie, de sa santé physique ou mentale.

Le harcèlement sexuel est constitué par un ensemble d’agissements qu’une personne se permet d’avoir à l’égard d’une autre, sans son consentement, de nature ou ayant une connotation sexuelle, dont la répétition et l’intensité affaiblissent psychologiquement le destinataire, en vue de l’intimider, le dominer ou à obtenir de sa part un acte sexuel.

Exemples de harcèlement

Le harcèlement moral peut être constitué par des critiques incessantes ou habituelles, de remarques répétés dans le but de dégrader son destinataire, toute forme d’humiliations ou de moquerie, de propos calomnieux, d’insultes, de menaces, de « mise au placard », d’absence de travail à accomplir, de conditions de travail dégradantes, de refus de communication, …

Le harcèlement sexuel peut être constitué par une demande de relations sexuelles en échange d’une faveur ou d’un avantage, des demandes répétées de rendez-vous, des demandes de caresses ou des contacts physiques volontaires et déplacés, l’utilisation de mots à connotation sexuelle envers la personne ciblée, les mails à caractère sexiste, en général toute allusion qui ne laisse pas douter des intentions à caractère sexuel de la personne qui l’émet.

Éléments caractéristiques du harcèlement moral

Trois éléments caractérisent le harcèlement moral :

  • des agissements répétés de harcèlement moral,
  • des agissements intentionnels ou non, occasionnant ou susceptible d’occasionner une dégradation des conditions de travail,
  • ou une dégradation des conditions de travail susceptible de causer un dommage au salarié soit en portant atteinte à ses droits et à sa dignité, soit par une altération de la santé physique ou mentale, soit par la compromission de son avenir professionnel.

À retenir : il ne s’agit pas de conditions cumulatives ; un seul de ces éléments est susceptible de caractériser le harcèlement moral.

Attention, il ne faut pas considérer qu’il y a situation de harcèlement moral alors qu’il s’agit seulement de l’exercice normal des pouvoirs d’organisation du travail, de contrôle, ainsi que disciplinaire de l’employeur.

Le harcèlement moral ne doit pas non plus se confondre avec une situation de stress ressentie par le salarié qui peut résulter de contraintes de travail ou de difficultés relationnelles. Bien souvent, cette confusion est entretenue à dessein devant le Conseil de prud’hommes pour espérer voir écarté le barème dit « Macron » mais l’effet peut se révéler contraire aux espoirs nourris.

Les sphères dans lesquelles le harcèlement opère

Le harcèlement moral se rencontre malheureusement dans tous les domaines : vie professionnelle, fonction publique, vie privée, vie publique, vie scolaire ou activité sportive.

DANS LA VIE PROFESSIONNELLE

L’employeur, en droit privé comme en droit public, à une obligation de sécurité à votre égard, pour protéger votre santé physique et mentale (article L.4121-1 et article L.4121-2 du Code du travail. On dit que c’est une obligation de résultat car l’employeur ne doit pas se satisfaire de faire le maximum pour éviter tout risque de harcèlement mais à l’obligation de l’empêcher.

Non seulement, l’employeur doit prendre toutes les mesures pour prévenir le harcèlement moral au travail (article L.1152-4 du Code du travail) mais pèse même sur lui une obligation de prévention, de protection et surtout une obligation de faire cesser les agissements qui lui sont rapportés (article L.1152-5 du Code du travail).

Il a même l’obligation de mener une enquête, à la suite d’une alerte lancée par un salarié, pour vérifier ou lever les soupçons de faits pouvant caractériser de simples fautes déontologiques mais parfois aussi des faits susceptibles de constituer une infraction pénale.

L’enquête interne vise à établir avec certitude les faits allégués par une personne, pour permettre à l’entreprise de prendre les mesures appropriées.

Après dénonciation de situations de harcèlement moral, harcèlement sexuel, discrimination, ou encore de souffrance au travail, l’employeur doit mettre en œuvre une enquête interne, en vertu des dispositions de l’article L.4121-1 du Code du travail et de la jurisprudence (Soc., 27 nov. 2019, n°18-10.551).

Cependant, la Cour de cassation ne sanctionne plus systématiquement l’employeur qui n’aurait pas mis en place une enquête interne, s’il prouve avoir pris par ailleurs les mesures nécessaires pour faire cesser les faits dénoncés (Soc., 12-6-2024, n°23-13.975).

L’objectif majeur de l’enquête interne est de réduire les risques de contentieux et la responsabilité de l’employeur. L’enquête interne fera l’objet d’un article séparé.

Rappelons ici que celui qui révèle, témoigne ou est victime d’un harcèlement, ne peut faire l’objet d’une sanction (notamment article L.1132-3-3 du Code du travail). Le statut protecteur du lanceur d’alerte ou de la victime de harcèlement fera l’objet d’un prochain article.

Nous déconseillons à l’employeur de sanctionner le lanceur d’alerte de mauvaise foi. Pour justifier une sanction, l’employeur devra rapporter la preuve que le lanceur d’alerte avait conscience d’agir de mauvaise foi (Soc., 13 sept. 2023 n°21-22.301). Il est préférable de laisser la personne accusée de harcèlement, agir si elle le souhaite en dénonciation calomnieuse ou en diffamation.

L’employeur doit prendre une sanction disciplinaire adaptée et proportionnée par rapport à la faute commise (article L.1152-5 du Code du travail), avertissement ou blâme, mise à pied, mutation-sanction, rétrogradation, licenciement pour faute simple ou grave. En revanche, les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites.

La Cour de cassation vient de se prononcer dans un arrêt particulièrement intéressant, validant un licenciement pour faute grave d’un salarié ayant commis des faits de harcèlement moral, malgré sa grande ancienneté de 22 ans, exempte de tout reproche (Soc. 14 fév. 2024, n°22-23.620).

Certes, la Cour de cassation a considéré que le comportement du salarié licencié caractérisait une faute grave mais cette jurisprudence pourra être modulée pour que la sanction soit proportionnée : nous recommandons aux employeurs de s’assurer que la sanction pour faute grave était bien la seule adaptée pour mettre fin définitivement au harcèlement moral.

Dans une autre affaire, la Cour de cassation a considéré que la tenue de propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants justifiait le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’un salarié ayant plus de 20 ans d’ancienneté, qu’elle qu’est pu être la tolérance passée de l’employeur, sans s’attacher à la proportionnalité de la sanction (Soc., 12 juin 2024, n°23-14.292).

L’ancienneté n’atténue pas la faute en matière de santé et de sécurité, et pourrait même constituer une circonstance aggravante si le salarié joue de son ancienneté pour se prévaloir d’une certaine immunité. L’employeur s’assurera aussi de la formation de son personnel aux risques en la matière.

DANS LA VIE PRIVÉE

Le harcèlement moral engendrant la dégradation mentale ou physique du partenaire de vie est un constitutif d’un délit passible de 3 ou 5 ans d’emprisonnement.

DANS LA VIE SCOLAIRE

Le harcèlement scolaire peut être commis à l’intérieur ou en dehors de l’établissement scolaire. Le harcèlement scolaire entraine une dégradation des conditions de vie de l’élève. Cela peut se manifester par l’anxiété, la chute des résultats scolaires, la perte de poids et la dépression.

La Loi n°22-299 du 2 mars 2022 est venue renforcer les moyens de lutte contre le harcèlement scolaire, lequel est depuis considéré comme un délit pénal, qui peut entraîner jusqu’à dix ans de prison pour les personnes reconnues coupables de faits de harcèlement ayant conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider.

DANS LA VIE SPORTIVE

En milieu sportif, le harcèlement moral ou sexuel intègre parfois une discrimination liée aux orientations sexuelles, voire une connotation raciste. L’agresseur profite de la vulnérabilité et de la jeunesse de l’athlète.

Les voies de recours pour les victimes de harcèlement

Dans la sphère professionnelle, la victime peut s’adresser notamment :

  • Aux Institutions Représentatives du Personnel : aux délégués du personnel de l’entreprise, s’ils existent, voire au CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) dans les entreprises occupant au moins 50 salariés,
  • À son employeur ou son supérieur hiérarchique, s’il n’est pas lui-même l’auteur du harcèlement,
  • Au Conseil de prud’hommes, en faisant citer son employeur mais aussi, ce que peu de personnes savent, l’auteur du harcèlement à titre personnel.

Dans la vie scolaire, la victime peut s’adresser notamment :

  • Au chef d’établissement,
  • À un membre du personnel éducatif,
  • À l’élève ambassadeur de la lutte contre le harcèlement dans votre établissement scolaire,
  • En composant le 3018,
  • À l’académie dont il relève.

Dans la vie sportive, la victime peut s’adresser notamment :

  • À son entraîneur, s’il n’est pas l’auteur du harcèlement,
  • À la direction de son club,
  • À la fédération dont relève sa pratique sportive.

Dans tous les cas, la victime peut aussi :

  • Saisir le Défenseur des Droits,
  • Saisir la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité): 08 1000 5000,
  • Déposer plainte simple entre les mains du Procureur de la République, en s’adressant au Commissariat de Police, à la Gendarmerie ou en dénonçant les faits directement au Procureur de la République du Tribunal judiciaire de votre choix, mais en principe celui du lieu de la commission des faits de harcèlement,
  • Si la plainte simple n’est pas suivie d’effet pendant trois mois, vous pouvez déposer plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d’Instruction du Tribunal judicaire du lieu de la commission des faits de harcèlement.

En principe, le harcèlement moral suppose en principe que des propos ou comportements répétés soient établis à la charge de la personne poursuivie.

Mais la répétition n’est pas nécessaire en matière de cyberharcèlement. Ainsi, la Cour de cassation vient d’admettre (Crim., 29 mai 2024, n°23-80.806) que le harcèlement moral pouvait être caractérisé :

  • Lorsqu’une personne subit de tels propos ou comportements de la part de plusieurs individus qui se sont concertés, sans que chacun d’entre eux agisse de manière répétée,
  • Ou lorsqu’une personne subit de tels propos ou comportements, venant de plusieurs individus qui ne se sont pas concertés mais qui savent que cette personne a déjà été victime de tels agissements.

Ainsi, le fait de publier en ligne un seul message malveillant ou le relayant, dirigé contre une personne prise à partie sur les réseaux sociaux, caractérise l’infraction, sans même qu’il soit prouvé l’intention malveillante de son auteur ou que la victime en ait eu connaissance.

Les témoins

Les témoins ou personnes ayant relatées de tels agissements ; Toute sanction, rupture de contrat, mesures discriminatoires prise à l’encontre des victimes et/ ou témoins est nulle. Le salarié licencié peut demander à être réintégré, ou demander des dommages intérêts.

La Cour de cassation vient de rappeler que le fait de saisir la justice ou d’être amené à témoigner et dénoncer des faits de harcèlement ne peut justifier un licenciement (Soc., 19 avril 2023, n°21-21.053 et Soc., 10 juillet 2024, n°23-17.953).

Les preuves

En droit français, la preuve est libre et peut être rapportée par tout moyen légal. Il peut donc s’agir de témoignages, de certificats médicaux, de mails ou sms…

Mais depuis un arrêt récent, la Cour de cassation admet dans certaines conditions la preuve illicite ou déloyale (Ass. Plén. 22 déc. 2023, n°20-20.648). Nous vous renvoyons sur ce sujet à notre article paru sur le site TALON MEILLET AVOCATS : https://www.talon-meillet-avocats.com/des-conditions-d-admissibilite-de-la-preuve-illicite-ou-deloyale/

 

Par Laurent Meillet
Le 02 septembre 2024

Contactez le Cabinet Talon-Meillet pour plus d'informations !

Vous êtes confronté(e) à des situations de harcèlement au travail et vous souhaitez comprendre vos droits ? Le cabinet Talon-Meillet Associés est à vos côtés pour vous offrir une assistance juridique adaptée à vos besoins.

Prenez rendez-vous dès aujourd’hui avec nos avocats spécialisés pour obtenir des conseils sur mesure et une défense solide face à ces enjeux délicats.