En raison de la crise sanitaire inédite que nous traversons, le Gouvernement a pris en certain nombre de mesures d’accompagnement des entreprises confrontées à la fermeture de leurs établissements. Parmi celles-ci, divers textes organisent une suspension, voire une suppression, des sanctions en cas de non-paiement des loyers commerciaux.
Le cabinet TALON MEILLET ASSOCIÉS vous en propose une synthèse à la date du 31 mars 2021.
Le non-paiement des loyers commerciaux durant le premier confinement de l’année 2020
Les textes de référence sur la période COVID
Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 ;
Décret n°2020-378 du 31 mars 2020 relatif au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 ;
Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;
Ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ;
Décret n°2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ;
Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Critères d’éligibilité pour l’entreprise locataire
Deux séries de mesures protectrices ont été adoptées et s’appliquent selon que l’entreprise locataire est susceptible de bénéficier ou non du fonds de solidarité. En réalité, il n’est pas renvoyé à tous les critères d’éligibilité au fonds de solidarité de sorte que la catégorie des entreprises pouvant bénéficier des mesures les plus protectrices ci-après exposées est plus large que celle des entreprises pouvant bénéficier du fonds de solidarité.
En effet, conformément à l’article 1er du décret n°2020-378 du 31 mars 2020 (renvoyant aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020), peuvent bénéficier des mesures les plus protectrices (prévues à l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020), les personnes physiques ou morales de droit privé, résidentes fiscales françaises, exerçant une activité économique et remplissant les conditions suivantes :
lorsqu’elles sont constituées sous forme d’association, elles sont assujetties aux impôts commerciaux ou emploient au moins un salarié ;
elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce ;
elles ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;
ou elles ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020,
- par rapport à la même période de l’année précédente ;
- ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 ;
- ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié d’un congé pour maladie, accident du travail ou maternité durant la période comprise entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes morales dont le dirigeant a bénéficié d’un tel congé pendant cette période, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 février 2020.
Hypothèse 1 : le locataire remplit les critères d’éligibilité
Les mesures protectrices
Dans cette hypothèse, ce sont les mesures les plus protectrices de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 qui s’appliquent. Ainsi, il est institué une suppression des sanctions applicables au locataire défaillant.
L’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 dispose en effet que le locataire ne peut « encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L.622-14 et L.641-12 du code de commerce ».
Loyers concernés et période protégée
Cette disposition s’applique « aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit du 12 mars au 11 septembre 2020, l’état d’urgence s’étant étendue jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.
En l’état des textes applicables à ce jour, il apparaît que tous les termes de loyers et charges arrivant à échéance durant cette période juridiquement protégée (s’étendant du 12 mars au 11 septembre 2020) ne pourront faire l’objet d’un commandement de payer visant la clause résolutoire et ce, à titre définitif, puisque le dispositif semble ériger une protection perpétuelle.
De même, le bailleur ne pourra pas se retourner contre les cautions ou mettre en œuvre les éventuelles garanties prévues au bail.
Le texte vise « l’échéance de paiement » des loyers et charges. Ces derniers étant classiquement appelés trimestriellement, les échéances concernées seront celles des 2e et 3e trimestres si le loyer est payable d’avance et des 1er et 2e trimestres si le loyer est payable à terme échu. Dans ce dernier cas, les loyers dus pour une période antérieure à la période protégée (du 1er janvier au 11 mars) seront couverts par la protection instaurée par l’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020.
Hypothèse 2 : le locataire ne remplit pas les critères d’éligibilité
Mesures protectrices
Dans cette hypothèse, ce sont les mesures de l’article 4, alinéas 1 et 2, de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 qui s’appliquent. Ainsi, il est institué une suspension des sanctions applicables au locataire défaillant.
L’article 4, alinéas 1 et 2, de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, dispose en effet :
« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er.
Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ».
Période protégée
La période définie au I de l’article 1er de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 est celle comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus.
Si on prend l’hypothèse d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, trois hypothèses sont alors à distinguer :
Commandement délivré avant le 12 mars 2020 : dans ce cas, le délai d’un mois imparti au locataire est prorogé à compter du 24 juin de la fraction qui restait à courir au 12 mars :
Ex : le commandement est délivré le 15 février. Le cours du délai d’un mois est arrêté au 12 mars pour reprendre, à compter du 24 juin, pour le temps restant à courir, de sorte que la clause résolutoire sera acquise le 28 juin 2020.
Commandement délivré entre le 12 mars et le 23 mai 2020 : dans ce cas, le délai d’un mois ne courra qu’à partir du 24 juin 2020 et expirera le 24 juillet 2020 ;
Commandement délivré à compter du 24 mai 2020 : le délai d’un mois n’apparaît pas perturbé puisqu’il expire au 24 juin, soit en dehors de la période protégée.
En résumé
Peuvent bénéficier des mesures les plus protectrices, les personnes physiques ou morales, non contrôlées par une société commerciale, qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public entre le 1er et le 31 mars 2020 ou qui ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % sur cette période.
Hypothèse 1 : Le locataire défaillant n’encourt aucune sanction, ni résiliation de son bail, pour non-paiement des loyers dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars et le 11 septembre 2020 et ce, de manière définitive.
Hypothèse 2 : Le locataire défaillant bénéficie d’un « sursis » sur une période comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus. En effet, les sanctions encourues pour non-paiement des loyers commerciaux, sont suspendues durant cette période et reprennent leurs cours ou leurs effets à compter du 24 juin 2020 pour la durée qui restait à courir au 12 mars 2020.
Le non-paiement des loyers commerciaux depuis le second confinement de l’année 2020
Textes de référence
Loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, article 14 ;
Décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020 relatif aux bénéficiaires des dispositions de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et portant sur les loyers et charges locatives.
Critères d’éligibilité
Conformément à l’article 1 du Décret du 30 décembre 2020, peuvent bénéficier des mesures protectrices de l’article 14 de la Loi du 14 novembre 2020, les personnes physiques ou morales de droit privé, exerçant une activité économique, qui remplissent les critères suivants :
leur effectif salarié est inférieur à 250 salariés ;
le montant de leur chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 50 millions d’euros ou, pour les activités n’ayant pas d’exercice clos, le montant de leur chiffre d’affaires mensuel moyen est inférieur à 4,17 millions d’euros ;
elles ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er novembre et le 30 novembre 2020, laquelle est définie comme la différence entre, d’une part, le chiffre d’affaires au cours du mois de novembre 2020 et d’autre part :
le chiffre d’affaires durant la même période de l’année précédente ;
ou si l’entreprise le souhaite, le chiffre d’affaires mensuel moyen de l’année 2019 ;
ou, pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 janvier 2020, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 ;
ou, pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 février 2020, le chiffre d’affaires réalisé en février 2020 et ramené sur un mois ;
ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, le chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à défaut la date de création de l’entreprise, et le 30 septembre 2020.
Il est précisé que pour les entreprises ayant fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public, le chiffre d’affaires du mois de novembre 2020 n’intègre pas le chiffre d’affaires réalisé sur les activités de vente à distance avec retrait en magasin ou livraison.
Conformément à l’article 2 du Décret, « Les personnes physiques et morales de droit privé mentionnées au I de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 susvisée attestent des conditions fixées à l’article 1er du présent décret en produisant une déclaration sur l’honneur qu’elles remplissent lesdites conditions. Cette déclaration est accompagnée de tout document comptable, fiscal ou social permettant de justifier les conditions fixées au 1° et 2° du I de l’article 1er. La perte de chiffre d’affaires est établie sur la base d’une estimation.
Les entreprises de moins de cinquante salariés bénéficiaires de l’aide financière mentionnée à l’article 3-14 du décret du 30 mars 2020 susvisé peuvent justifier de leur situation en présentant l’accusé-réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité au titre du mois de novembre 2020, accompagné de tout document comptable ou fiscal permettant de justifier qu’elles ne dépassent pas le niveau de chiffre d’affaires mentionné au 2° du I de l’article 1er ».
Période protégée
Conformément à l’article 14, I et II de la loi du 14 novembre 2020, la période protégée court depuis la date à laquelle la personne physique ou morale de droit privé exerçant une activité économique est affectée par une mesure de police administrative jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par cette mesure de police administrative.
Mesures protectrices
Conformément à l’article 14, II de la Loi du 14 novembre 2020, pendant cette période, les personnes physiques ou morales éligibles « ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée ».
Pendant cette même période, « les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires ».
« Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite ».
En revanche, il n’est pas fait obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du Code civil (article 14, III de la Loi du 14 novembre 2020).
Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration de la période protégée.
Loyers concernés
Conformément à l’article 14, IV de la loi du 14 novembre 2020, les « loyers et charges locatives concernés par ces mesures protectrices sont ceux dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police administrative ».
Il est donc tenu compte, non pas de la date d’exigibilité du loyer mais de la période de location pour laquelle le loyer et les charges sont dus.
En conséquence, le loyer afférent à la période postérieure à la date de cessation de la mesure de police administrative ne peut bénéficier des mesures protectrices quand bien même nous serions dans le délai de deux mois suivant la cessation de la mesure de police.
Prenons l’exemple d’un restaurateur dont l’établissement est fermé depuis le 29 octobre. Admettons qu’il soit autorisé à rouvrir au 1er mai 2021. Il n’encourt aucune sanction s’il ne paie pas les loyers afférents aux mois de novembre, décembre 2020, janvier, février, mars et avril 2021 et ce, jusqu’au 1er juillet 2021.
En revanche, il encourt des sanctions et pénalités s’il ne paie pas le loyer afférent au mois de mai 2021.
Enfin, pour le non-paiement des loyers « protégés » (dans notre exemple, ceux afférents aux mois de novembre 2020 jusqu’au mois d’avril 2021), il nous semble possible de délivrer un commandement de payer dès l’expiration du délai d’un mois + un jour suivant la fin des mesures de police administrative qui affectent le locataire (dans notre exemple, dès le 2 juin) puisqu’alors, le délai d’un mois du commandement expirerait après le délai de deux mois suivant la cessation des mesures de police, c’est-à-dire après la période protégée (dans notre exemple, au 2 juillet).
Procédures d’exécution engagées avant la période protégée
Conformément à l’article 14, IV de la loi du 14 novembre 2020, « les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la date mentionnée au même premier alinéa », c’est-à-dire jusqu’à la fin de la période protégée.
En résumé
Le locataire dont l’effectif salarié est inférieur à 250 salariés, qui a réalisé un chiffre d’affaires de moins de 50 millions d’euros lors du dernier exercice clos et qui a subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % entre le 1er novembre et le 30 novembre 2020, hors « click and collect » s’il a fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public sur cette période, n’encourt aucune sanction ou résiliation de son bail à raison du non-paiement des loyers et charges afférents à la période durant laquelle il subit une mesure de police administrative.
Cette protection perdure jusqu’à deux mois après la cessation des mesures de police administrative.
Il n’est pas tenu compte de la date d’exigibilité des loyers et charges mais de la période de location à laquelle ils correspondent.
Les mesures d’exécution engagées par le bailleur sont suspendues jusqu’au terme d’une période de deux mois suivant la fin des mesures de police administratives qui affectent le locataire.
Annie MOUNICHETTY
Avocat collaborateur